Habitée
Ça ne se fait pas de fouiller dans le sac à main d'un femme, si quelqu'un s'aventurait dans le mien, il ne serait pas déçu. Lunettes, mouchoirs, crayon pour les yeux, baume à lèvres, gants, agenda, tracts publicitaires, peau de clémentine, porte monnaie, chéquier, porte feuille, clé, pansement, téléphone, appareil photo... et la liste n'est pas exhaustive. Je transporte ma vie avec moi, mon petit bagage quotidien mais ce qui y pèse le plus lourd aujourd'hui c'est cette lettre... je l'ai écrite pour Daphné ma sœur jumelle, je n'arrive plus à lui parler, elle ne m'écoute pas, se braque, boude, bref j'ai décidé de lui écrire ce que j'ai sur le cœur. J'ai un peu peur qu'elle le prenne mal, en même temps elle ne peut pas continuer à être ainsi, jalouse, possessive, hargneuse, elle n'accepte pas que je puisse me marier, pour elle c'est une tromperie, une trahison, je l'abandonne. Je veux juste vivre ma vie, former ma famille. J’espère qu'elle comprendra que je l'aime mais que je n'en peux plus de sa façon d'agir.
Petite hésitation, ai-je bien tourné les mots ? Allez j'ai trop relu cette lettre, hop c'est dans la boîte.
Trois jours passent sans nouvelle, puis ce matin, un message : « Diane, viens à la maison mercredi à 16h précises, j'ai une surprise pour toi ! »
Ah elle veut sans doute enterrer la hache de guerre, nous réconcilier, j'ai bien fait de lui ouvrir mon cœur...
Le jour J, Diane prend sa voiture, s’arrête à la boulangerie, achète deux religieuses au chocolat, leurs desserts préférés. Sur la route, embouteillage, c'est rare sur cet axe... un accident, macabre présage... un scooter à été embouti par un camion, le résultat se laisse imaginer, traces de freins sur la chaussée, sang, débris de carrosserie répandue, la police et les secours sont présents. Diane grimace, elle a de la peine pour ce jeune, sa famille, cette vie volée. Elle ne sait pas que c'est la sienne qui prendra bientôt fin.
Déviation... Elle sera en retard, ce n'est pas son genre, ça la stresse de ne pas être à l'heure, en même temps elle appréhende un peu le comportement de sa sœur alors ça lui donne un peu de répit. Elles ont pourtant été si proches, une relation exclusive, on les a toujours confondues, vêtues de la même façon à jouer de leur ressemblance pour faire des farces. Aujourd'hui c'est très dur pour elle de voir sa sœur malheureuse, n'acceptant pas qu'elle se détache d'elle.
30 minutes de retard, 30 minutes fatales... Diane sonne... pas de réponse, elle rentre, Daphné n'est pas dans le salon ni dans sa chambre, de la lumière filtre sous la porte de la salle de bain, elle n'a sans doute pas vu l'heure tournée, elle frappe... pas de réponse... elle entre...
Daphné est dans un bain, un bain de sang, blême, inconsciente, est-elle encore... ? Diane arrache sa sœur de la baignoire, tire de toutes ses forces pour la sortir de là, essaie de presser ses poignets pour retenir son sang, sa vie, elle tâte son pouls, rien, pourtant l'eau du bain est encore chaude, son corps aussi... Diane ne comprend pas, elle hurle « Non, tu n'as pas le droit de me faire ça, ne me laisse pas, reviens, s'il te plaît reviens avec moi ! » Elle pleure, son corps est déchiré de sanglots, elle tape le buste de sa jumelle. « Reviens !!! »
Daphné n'avait quitté son corps que depuis quelques minutes, elle s'était fait prendre à son propre jeu, voulant faire un chantage au suicide à sa sœur pour qu'elle ne la quitte pas, pour la garder pour elle, elle n’avait pas prévu qu'elle serait en retard, qu'elle perdrait connaissance, et ne pourrait arrêter son sang de se répandre. D’où elle était, de ce qu'elle était, elle voyait sous elle, sa sœur, son corps, ce sang tout ce sang, elle entendait les cris, les pleurs, les appels, elle voulait revenir, elle ne voulait pas quitter Diane, elle essaya de rejoindre son corps, mais se retrouva dans celui de sa sœur. Mystère de la vie, mystère de la mort, ces deux êtres qui ne formaient qu'un à leur création, de retour en un seul et même corps.
Les secours ont retrouvé Daphné morte, Diane folle, à s'arracher les cheveux, à casser tous les miroir pour ne pas voir son reflet, leurs reflets. Elle a été médicamentée, les médecins ont diagnostiqué de la schizophrénie, déclenchée à la suite du choc. Corps partagé entre l'une et l'autre, enfermées à l'intérieur, unies à jamais.
Atelier d'écriture proposé sur www.bricabook.fr par Leiloona, photographie de Kot
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