Mes petites créations ...

Mes petites créations ...

Confidences

Je ne sais pas ce qu'elle a aujourd'hui, énervée quoi qu'on dise, depuis qu'elle est rentrée du collège, je marche sur des œufs, pas facile tous les jours une fille de 14 ans. Je vais quand même aller voir si elle va bien.

«  Quoi, qu'est ce que tu veux ?

- Rien, tu veux un petit thé.

Non, allez man, laisse moi tranquille, t'es toujours là, à me regarder avec ta tête de fouine, à vouloir tout savoir de ma vie.

- Comme tu es, je t'ai juste demandé si tu voulais un thé.

- Ça c'est ce que tu dis, mais en fait, je le vois bien, c'est écrit sur ton front, c'est pas ça que tu veux savoir, tu peux me laisser une vie privée, oui !

Bon, si tu le prends sur ce ton, je vois que ce n'est pas l'amabilité qui est à l'ordre du jour... »

Je pars en lui faisant ma tête de chien battu, en général, elle culpabilise...

Et ça n'a pas loupé voilà, ma grande qui rapplique dans la cuisine. C'est fou ce qu'elle a vite changé, ce visage qui n'est plus celui d'une petite fille, elle ne sait pas encore qu'elle est belle, comme elle se cherche avec ses coupes de cheveux bizarres, ses vêtements qui changent de style tous les jours, voir qui mélangent tous les styles, folklo une ado. Bien sur je me mords la langue et la laisse faire dans la mesure du raisonnable, mais rien que mon regard l'irrite.

«  Bon tu me le sers ton thé.

- Qu'est ce que tu as aujourd'hui ?

- Quoi qu'est ce que j'ai, rien, de tout de façon tu comprends rien, madame qui sait tout toujours mieux que tout le monde. »

Je sers la mâchoire, avale la salive, c'est fou ce qu'on se prends dans la tête gratuitement par la chair de sa chair, le sang de son sang, si on devait me la regreffer je ferai un rejet.

« Merci pour le compliment, mais encore ?

- C'est que samedi, je suis invitée à la fête de Chloé.

- Eh bien, tu fais la tête alors que je ne t'ai même pas dit non pour y aller, faudra m'expliquer.

- Justement, je fais pas la tête pour ça, de toute façon, je ne veux pas y aller !

- Pourtant tu l'aimes beaucoup Chloé, vous vous êtes fâchées ?

- Non, mais tu connais pas les fêtes de Chloé, c'est vraiment super ambiance, tout le monde danse, et moi je vais encore avoir l'air d'une cruche, mal à l'aise, à pas savoir me dandiner correctement, ce va être moi la coincée du groupe, j'en ai mare de me sentir ridicule. Alors voilà, t'es contente, t'y comprends quoi à ça toi, habillée comme il faut, l'attitude qu'il faut, je te jure c'est pénible de t'avoir pour mère !

- Mais qu'est ce que tu crois ma chérie que l'assurance et la confiance en soi sont innées, et bien figure toi, que c'est comme le reste ça s'apprend! Tu crois que je ne me suis jamais sentie godiche, mal à l'aise, pas à ma place, mais je ne viens pas d'une autre planète! Seulement j'ai appris. »

 

Je me doute de ce qu'elle pense : « Ce coup ci, je l'ai bien énervée la mère supérieure, elle a sa tête de celle qui veut plus me parler alors que c'était normalement la mienne celle là, si elle pouvait aussi m'en dire plus, qu'est ce que j'y connais de sa vie, c'est ma mère, je sais ce que je vois d'elle, mais qui elle est, ses expériences, son vécu, rien, une tombe et si je pose des questions, elle fait celle qui n'entend pas, alors que pour écouter ce que je raconte au téléphone, elle a l’ouïe fine.»

«  Raconte moi alors quand tu étais pas à l'aise ?

- Te raconter...

- Oui, fais moi un peu confiance.

- Ça n'a rien à voir avec la confiance

- Alors quoi ?

- Tu veux un de mes souvenirs de jeune fille ?

- Oui, s'il te plaît, ma petite maman »

Quand je la vois comme ça, je me demande bien, qui croit manipuler qui et qui est manipulée dans cette histoire, je cède que faire d'autre, si au moins ça peut me rapprocher d'elle. Je respire profondément, rassemble mes esprits et d'une traite comme si ça c'était passé hier, je lui raconte.

« J' ai un souvenir que je n'oublierai jamais, c'était l'été de mes 15 ans J'étais avec ma cousine, tu sais Brigitte. C'était une fête du 14 juillet, un bal comme ça se faisait, nous étions dans le village de ton arrière grand-mère et elle nous avait autorisées à sortir. On était contentes et toutes excitées à l'idée de jouer les grandes. On s'était faites belles, enfin la mode de l'époque. Aujourd'hui tu trouverai ça ringard, je me souviens très bien de cette robe rose vichy que je portais. Brigitte avait du succès avec les garçons, avec son bagout et ses longs cheveux bouclés, elle les avait tous pour elle. Je la regardais, je l'enviais, je me sentais inexistante, insignifiante, inintéressante. Je rigolais bêtement à ce que les autres disaient mais je restais dans mon coin, en fait j'avais une frousse folle. Du coup, à cette soirée, Brigitte est vite partie de son côté se laisser compter fleurette et moi je suis restée là, sur ma chaise. Même pas trois sous pour acheter un verre à siroter, pour me donner une contenance. Je gardais les yeux dans le vague de celle qui est ailleurs, pour qu'on ne voit pas que je n'avais qu'une envie partir. Cette attente du retour de Brigitte était interminable, je me sentais d'autant plus ridicule que les jeunes présents discutaient, riaient, dansaient entre eux. Et moi, là, crispée, je m'attendais à ce qu'on me montre du doigt et qu'on dise regardez la pauvre fille dans sa robe vichy, qu'est ce qu'elle a l'air gourde. N'en pouvant plus de me sentir mal, j'avais même décidé de rentrer sans Brigitte. Et c'est justement en sortant qu'un garçon m'a attrapé au passage, m'a pris par le bras, j'ai voulu me dégager. Et puis, lui, n'a pas compris, il m'a dit « viens danser la belle, viens faire tourner ta robe ». J'ai refusé, « non je ne sais pas, laisse moi ». Il a eu l'air surpris et m'a rétorqué «tu n'as pas besoin de savoir, je vais te guider, jolie fleur. » C'était vrai que je n'avais pas besoin de savoir, et c'était agréable de s'entendre appeler jolie fleur, alors je l'ai laissé faire, j'ai arrêté de me regarder, je l'ai regardé lui, il m'a guidée, m'a fait tournée, je me sentais légère, souple, vivante, belle. J'ai passé un été formidable avec lui, ce fut mon premier amour.

Voilà, tu sais tout et pour samedi, c'est 23h dernier carat à la maison!

- Mais man...

- Non, rêve pas je te prête pas ma robe rose vichy! » dis-je avec le plus sérieux du monde.

Elle m'a regardée, a éclaté de rire, m'a serrée dans ses bras, et avant de s’éclipser dans sa chambre, elle m'a murmuré un petit merci qui nous a fait beaucoup de bien à toutes les deux. Ah! ma petite grande fille...

 

atelier d'écriture proposé sur http://www.bricabook.fr/

 

photo de Romaric Cazaux

 

 

 



26/10/2012
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