La petite Roumaine sans allumette
« Dépêche toi, ils seront tous la-bas, pour voir leur sapin de Noël, ils en ont mis un géant à coté du centre commercial, de quoi ramassé un bon petit paquet ! Non ! Ne met pas ton gilet juste un châle et reste bras nus! » Inutile de rétorquer, j’obéis, suis ma mère et mes cousines vers la grande place.
Le sapin est magnifique, tout brille et scintille, les gens lèvent la tête vers ce beau spectacle et leurs yeux s'illuminent, comme j'aimerais être comme eux, comme j'aimerais...
« Allez arrête de rêver, bouge toi, on se retrouve ici quand tu auras bien travaillé. »
Ma mère m'envoie quémander, faire pitié, et à défaut de dons me servir au passage, j'ai beau y être habituée, je n'aime pas ça, j'y vais à reculons, mais quel choix, que puis je faire d'autre, elle me regarde du coin de l’œil, la mâchoire serrée, l'air mauvais, je sais ce qui m'attend si je ne ramène pas suffisamment d'argent... des coups, des cris et des coups à nouveau... Mon corps roué a mal mais cette douleur m'anesthésie, ce qui souffre le plus c'est mon âme.
On me regarde, certains avec pitié, d'autres avec peur serrant leurs sacs à main contre eux, avec mépris, dédain et haine aussi. J'entends chuchoter sur mon passage « Attention à vos affaires, il y a la petite Roumaine... la gitane... » On me dit Roumaine, mais je suis née ici en France, il y a neuf ans maintenant, ce pays n'est pourtant pas le mien, je parle mal sa langue, je ne fréquente pas ses écoles, je ne suis pas des leurs, je ne suis de nulle part. Je voudrais tellement du calme, un foyer chaud, des devoirs à écrire soigneusement sur un cahier, des livres plein de belles illustrations où je pourrais comprendre les histoires. Je voudrais être comme ce petit garçon que sa mère tient par la main, en lui montrant les détails des décorations.
Je marche parmi la foule, m'y perd, j'avance sans savoir bien où je vais, je quitte la place, marche, marche, j'ai froid, mais je me sens légère je me sens libre, mes pieds me portent vers des rues désertes. Elles vont me chercher m'attendre, s'énerver, elles ne me retrouveront pas, cette nuit, c'est décidé, je ne rentrerai plus.
Mes pas me mènent près de la Seine, j'aime ce paysage, les ponts, Notre-Dame, les bateaux mouches aux touristes qui vous saluent. Je me pose là, sur un petit coin de berge, je me sens bien, mais fatiguée, si fatiguée... Je ferme les yeux, et fait un vœu très fort avec tout mon cœur : « S'il existe ce gros bonhomme au manteau rouge, ce père Noël, puisse-t-il m'emmener avec lui dans les étoiles. » A ce moment, des flocons de neige tombent du ciel, elle se dit qu'il lui a répondu, c'est beau, si beau...
Elle s'endort blottie dans son petit châle, elle s'endort et cette nuit là, la nuit de Noël, son vœu se réalise, elle s'envole vers les étoiles et va trouver une place chaude et heureuse dans la lumière.
Le lendemain matin, on retrouve son petit corps sans vie, mais sur ses lèvres, un sourire.
merci à Leiloona qui propose ses ateliers d'écriture sur http://www.bricabook.fr/
photo de Romaric Cazaux
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