Mes petites créations ...

Mes petites créations ...

Sois heureux mon fils

pont

 

«  Regarde mon fils comme la mer est belle, promesse d'évasion, d'autres vies, de découvertes, d'aventures... Regarde ces îles au loin, ça fait rêver, non?! De l'autre côté tout la bas, c'est l'Angleterre !

- Oui pa, c'est vrai que c'est beau, j'ai passé de bonnes vacances avec toi tu sais, je suis vraiment fier de toi et content que tu sois redevenu comme avant. »

Je le prends par les épaules et lui fait une accolade, geste un peu maladroit d'hommes qui s'aiment, c'est vrai que c'est bon d'avoir retrouvé mon père. J'avoue que je n'y croyais plus, bien sûr, ce n'est peut-être pas tout à fait gagné, sa peau rougeaude, ses mains gonflées, son corps maigre et bouffi à la fois, ces marques de dépression, tristesse, de sa noyade dans l'alcool sont encore bien visibles, mais il sort la tête de l'eau mon p'tit père. Demain, retour à ma vie, retour à Paris, cette trêve avec lui m'aura fait du bien.

« J'ai une surprise pour toi fiston, et elle est de taille, alors écoute moi bien, tu aimerais que tes vacances continuent, ne plus retourner au collège, chez ta mère qui te saoule avec toutes ses règles. J'ai la solution.

- La solution, ne plus aller au collège, ne pas rentrer à la maison, mais de quoi tu parles ?

- J'ai des billets pour nous demain matin mais au lieu d'aller chez ta mère, on file à l'aéroport, direction l'Argentine. Et là, la vie, le soleil, la liberté de tout recommencer, ça fait des mois que je me renseigne,c'est un pays magnifique. Chutes d'eau vertigineuses d’Iguaçu, les montagnes de la cordière des Andes, il y a même des baleines à voir, en plus tu pourras devenir bilingue en Espagnol. Imagine les belles filles qui dansent le tango, des steaks plus gros que ton assiette, toute une culture à découvrir !

- Elle est bonne celle là papa, tu me feras toujours rire !

- Tu n'es pas bien avec moi, tu veux pas qu'on tente le tout pour le tout, vivre ensemble, père et fils.

- Non mais attends tu es sérieux ! Whaa papa, tu délires grave, je veux bien croire que l'Argentine c'est beau, mais de là à s’échapper là bas comme des malfrats en fuite, et maman elle va dire quoi, c'est juste pas possible ma vie est ici. »

Sa mâchoire se crispe, ses yeux s'injectent de larmes et de sang, je le regarde et il me fait peur soudainement. Mais de quoi il me parle, il a perdu la tête, il regarde trop la télé.

«  Allez viens on rentre à la maison. » Dit-il d'un ton sec.

«  Papa excuse moi, je ne voulais pas te vexer, c'est sympa ton projet on pourra y aller en vacances, l'été prochain, pourquoi pas.

- Laisse tomber, tu veux repartir, me laisser à nouveau seul, retourne avec ta mère, moi je vais retourner à mes bouteilles, t'en fais pas pour moi.

- Arrête, dis pas ça, c'est super que tu ais arrêté, mais je ne peux pas partir comme ça avec toi.

- N'en parlons plus. »

Sur le trajet du retour, le silence est pesant dans la voiture, il est temps que ces vacances se terminent, il mise trop sur moi, être fils unique c'est pas évident tous les jours, il faut qu'il vive pour lui, c'est quand même pas de ma faute.

Arrivés à la maison, il me demande d'aller à la cave, chercher un kilo d'oignons, il a vraiment l'air bizarre, euphorique tout à l'heure, glacial maintenant.

«  Pa, je trouve pas, ils sont où les oignons ? » je le vois dans l'encadrement de la porte mais au lieu de répondre, il la referme sur moi, à clé. Je cogne, je crie : «  Papa,allez ouvre moi, papa, papa !!! Tu vas pas me laisser là ! » Je tape, j'appelle, mais rien à faire me voici enfermé par mon propre père dans cette cave humide qui sent le moisi, et où on se gèle les miches. Il va bouder jusqu'à quand comme ça, c'est quoi cette histoire de me punir dans la cave ? Et mon portable qui ne capte pas, on se croirait dans un mauvais feuilleton. Il espère quand même pas que je vais changer d'avis en m'enfermant, j'ai plus 5 ans, il déraille. On avait pourtant passé 15 jours supers ensemble, faut toujours qu'il gâche tout. Tiens le moteur de la voiture, il part, je suis sûr qu'il va s'approvisionner en alcool, cette faiblesse me dégoûte, il aura tenu quoi ? 3 mois, une contrariété et c'est reparti. Comment sortir d'ici, je vais quand même pas casser la vitre du soupirail, il va bien revenir m'ouvrir.

Le temps passe, des minutes, des heures, le temps qui s'écoule me semble infiniment long, je m'assoupis. Soudain la chanson des Gun's and roses me réveille, il a mis le volume à fond « Knockin' on Heaven's Door » frapper aux portes du paradis, j'adore, je chante ça me distrait, je me demande bien ce qu'il fait là haut. Tout le CD y passe et puis plus rien, il a dû s'endormir. Je crois que je vais passer la nuit ici. Je mets les sacs de pommes de terre sur moi pour me réchauffer, pas très efficace mais à défaut de mieux, il doit faire 12 degrés ici, je vais finir chez le docteur avec une bronchite.

La lumière du jour filtre par le soupirail, je me réveille, j'ai mal partout, bon la petite plaisanterie a assez duré, il faut que je sorte d'ici, je tambourine, je l'appelle, toujours pas de réponse.

Je ne vais pas me déboîter l'épaule à ouvrir cette porte qui d'après moi ne s'ouvrira pas...mais bien sûr, il doit bien y avoir des outils ici... un marteau, un tournevis, hum je vais pas aller loin, eurêka ! une scie ! Au boulot ! J'y passe bien une heure à scier petit à petit le loquet de la porte, il finit pas céder, j'aurais à vrai dire préféré rester enfermer dans ma cave si j'avais su ce qui m'attendait.

«  Papa ? Tu es là » Je fais le tour du salon, bordel innommable, lumières allumées, vomis par terre, quel spectacle, ça me coupe l'envie de prendre un petit dej, je monte, j'ouvre la porte de sa chambre, personne, celle de la mienne, idem, le bureau... et là devant moi... mon père pend comme un pantin désarticulé à la poutre du plafond. J'ai envie de crier,d'hurler, de partir en courant, je ne fais rien, je reste là immobile à le regarder ballotter, il faut que je le décroche, je m'approche, monte sur la chaise, celle là même qu'il a poussé cette nuit, dernier geste. Je ne peux pas défaire la lanière, il est trop lourd, je vais chercher tel un automate, un couteau à la cuisine remonte et scie avec cette lame de toutes mes forces sa ceinture de pantalon avec laquelle il s'est accroché. Il tombe sur le sol, un bruit sourd sur le parquet, un poids mort, je le regarde, ces yeux sont encore ouverts. «  Putain, papa... » je m'effondre le prends dans mes bras et pleure de toute mon âme sur son corps froid, sur cette enveloppe dans laquelle mon père n'habite plus.

Prévenir quelqu'un, l'ambulance, la police, je ne sais pas, je suis perdu ma mère, oui, ma mère.

Je l'appelle, lui bredouille quelques mots incompréhensibles, elle ne comprend d'ailleurs rien, je finis par lui dire « papa s'est pendu », là le blanc, l'affolement, la panique, puis « quel con, mais quel con, appelle la police, je prends le premier train, courage mon chéri. » J e raccroche.

Sur la commode je n'avais pas vu, une lettre.

« Mon fils, mon Paulo,

Je suis désolé, je suis si fatigué, je n'ai plus la force, je n'ai plus l'envie, mes rêves sont des folies, je m'en rends compte. Je ne t'en veux pas de ne pas vouloir fuir avec moi, tu as raison, je fuis seul donc cette vie qui n'a plus de sens, qui n'a plus pour moi que des souffrances, je veux que tout s'arrête, je me couche, j'abandonne ce jeu, où j'ai tout perdu jusqu'à ma dignité d'homme. Tu as été, Paul, ma seule victoire, ma seule réussite, je ne sais pas comment un pauvre type comme moi, a pu faire un fils comme toi, je suis fier de toi, je t'aime, je ne suis juste pas doué, excuse moi. Réussis où je n'ai pas su, pas pu, sois heureux mon fils.

Je veillerai sur toi à distance.

Ton père qui t'a aimé, t'aime et t'aimera où qu'il soit. »

10 ans ont passé depuis cette malheureuse journée de mars, je suis à l'aéroport, je relis sa lettre. «  Les passagers à destination de Buenos Aires sont priés d'embraqués porte 3 .» Je vais en Argentine, réaliser son rêve, son voyage se finira ici, lorsque j'aurai répandu ses cendres sur les magnifiques chutes d’Iguaçu, je me l'étais promis. Je sais, je sens qu'il m'accompagne dans ce périple.

 

merci à Leiloona qui propose ses ateliers d'écriture sur http://www.bricabook.fr/ 

 

photo de Romaric Cazaux



25/11/2012
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